Patrick Bélanger
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Mark Zuckerberg, PDG de Meta (anciennement Facebook), a récemment annoncé que son entreprise développe des “amis IA” pour les utilisateurs. Lors de cette annonce, il a déclaré que “l’Américain moyen a 3 amis, mais a une demande pour 15”, suggérant ainsi un écart entre les relations sociales réelles et désirées.
Cette initiative s’inscrit dans la stratégie plus large de Meta d’intégrer l’intelligence artificielle dans ses plateformes. Contrairement aux chatbots traditionnels, ces “amis IA” seraient conçus pour simuler des relations interpersonnelles plus profondes et personnalisées. Zuckerberg porte désormais régulièrement les lunettes connectées de Meta lors de ses apparitions publiques, illustrant l’engagement de l’entreprise dans les technologies immersives.
Cette annonce intervient dans un contexte où les études montrent une augmentation de la solitude dans les sociétés occidentales, particulièrement aux États-Unis. Le phénomène, parfois qualifié “d’épidémie de solitude”, touche diverses tranches d’âge et catégories sociales. Les réseaux sociaux, initialement créés pour connecter les personnes, sont paradoxalement souvent pointés du doigt comme facteurs contribuant à l’isolement social.
L’initiative de Meta reflète une tendance plus large où la technologie tente de résoudre des problèmes qu’elle a parfois elle-même contribué à créer. Les plateformes sociales ont transformé notre façon d’interagir, mais n’ont pas nécessairement amélioré la qualité de nos relations.
Ces “amis IA” pourraient occuper une place intermédiaire dans notre écosystème social - ni tout à fait des outils, ni véritablement des amis. Ils répondront probablement à certains besoins de conversation et d’échange, mais sans remplacer la complexité et la richesse des relations humaines authentiques.
La question n’est peut-être pas de savoir si ces IA peuvent remplacer les amis humains, mais plutôt comment elles s’intégreront dans notre paysage relationnel déjà complexe. Certaines personnes les utiliseront comme complément à leurs relations existantes, d’autres comme substitut. L’équilibre sera différent pour chacun, selon ses circonstances personnelles, ses compétences sociales et ses opportunités de rencontre.
La véritable interrogation porte sur l’impact à long terme: ces technologies nous aideront-elles à mieux nous connecter entre humains, ou accéléreront-elles notre éloignement les uns des autres? La réponse dépendra probablement moins de la technologie elle-même que de la façon dont nous choisirons collectivement de l’utiliser.
Imaginez un instant que vous soyez propriétaire d’un café. Au début, votre établissement était un lieu de rencontre chaleureux où les gens venaient discuter, rire et partager des moments ensemble. Avec le temps, vous remarquez que de plus en plus de clients viennent seuls, absorbés par leurs écrans.
Un jour, vous avez une idée brillante: pourquoi ne pas embaucher des “compagnons de café” professionnels? Ces personnes seraient payées pour s’asseoir avec les clients solitaires et leur tenir compagnie. Elles seraient formées pour être d’excellentes conversationnalistes, pour s’intéresser à vos goûts et pour vous faire sentir écouté.
Certains clients adoreraient ce service. “Enfin quelqu’un qui m’écoute sans me juger!” diraient-ils. D’autres seraient mal à l’aise: “Je sais que c’est son travail d’être gentil avec moi, ça rend tout artificiel.”
Maintenant, imaginez que vous remplaciez ces compagnons par des robots à l’apparence humaine, programmés pour faire exactement la même chose. L’expérience serait-elle fondamentalement différente? Certains diraient oui, d’autres non.
C’est essentiellement ce que propose Zuckerberg: des “compagnons de café virtuels” disponibles 24/7, qui ne vous jugeront jamais, ne seront jamais trop occupés, et qui seront toujours ravis de vous parler de votre journée. La question est: cela rendra-t-il votre café plus convivial, ou simplement plus rentable pour vous, le propriétaire?
Les “amis IA” pourraient représenter une révolution sociale positive, particulièrement pour les personnes isolées. Pensons aux aînés en résidence, aux personnes à mobilité réduite, ou à celles vivant dans des régions éloignées du Québec - ces technologies pourraient leur offrir une présence réconfortante et stimulante au quotidien.
Ces compagnons virtuels pourraient également servir de “roues d’entraînement sociales” pour les personnes souffrant d’anxiété sociale ou de troubles neurodivergents. En pratiquant leurs compétences conversationnelles dans un environnement sans jugement, elles pourraient gagner en confiance avant de se lancer dans des interactions humaines plus complexes.
Sur le plan éducatif, ces IA pourraient devenir des partenaires d’apprentissage personnalisés, adaptant leur approche à nos styles cognitifs individuels. Imaginez un compagnon qui vous aide à apprendre l’anglais en conversant naturellement avec vous, ou qui discute de philosophie en adaptant son niveau à votre compréhension.
À terme, ces technologies pourraient même nous aider à mieux comprendre nos propres besoins relationnels. En interagissant avec différents types d’IA, nous pourrions identifier plus clairement ce que nous recherchons dans nos relations humaines et ainsi enrichir nos connexions réelles.
Loin de nous isoler davantage, ces amis IA pourraient, paradoxalement, nous reconnecter à notre humanité en nous faisant prendre conscience de la valeur irremplaçable des liens authentiques, tout en comblant certains vides conversationnels de notre quotidien.
L’initiative de Meta s’apparente à une solution technologique superficielle à un problème profondément humain et social. Plutôt que d’adresser les causes fondamentales de l’isolement - rythmes de vie effrénés, urbanisme déshumanisant, précarisation du travail - on nous propose un ersatz de relation, une illusion de connexion.
Ces “amis IA” risquent d’accélérer l’atrophie de nos compétences sociales. Les relations humaines sont complexes, parfois difficiles, souvent imprévisibles - c’est précisément cette friction qui nous fait grandir. En remplaçant ces interactions par des échanges avec des entités programmées pour nous plaire, nous pourrions perdre notre capacité à gérer les désaccords, à faire des compromis, à accepter l’altérité.
Plus inquiétant encore: ces technologies seront inévitablement conçues pour maximiser notre temps d’écran et collecter nos données les plus intimes. Nos confidences, nos peurs, nos désirs - tout sera analysé pour affiner les algorithmes publicitaires. Nos vulnérabilités émotionnelles deviendront de nouvelles opportunités commerciales.
Sur le plan sociétal, cette tendance pourrait normaliser le remplacement des services humains par des simulacres numériques. Pourquoi financer des programmes de lutte contre l’isolement des aînés si une IA peut leur “tenir compagnie”? Pourquoi investir dans des espaces publics conviviaux si chacun peut avoir son cercle d’amis virtuels?
En définitive, ces technologies risquent de nous enfermer dans des bulles relationnelles sur mesure, où nous n’interagissons qu’avec des entités programmées pour confirmer nos biais et satisfaire nos attentes. Un confort illusoire qui pourrait nous coûter ce qui fait l’essence même de notre humanité: notre capacité à nous connecter authentiquement les uns aux autres.
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