Patrick Bélanger
Article en référence: https://v.redd.it/f6kukffnxedf1
Geoffrey Hinton, l’un des trois “parrains de l’IA” (avec Yoshua Bengio et Yann LeCun), a récemment défendu l’idée que les intelligences artificielles sont véritablement créatives, contrairement à l’opinion populaire qui les considère comme de simples “perroquets stochastiques” qui ne font que reproduire leur entraînement.
Dans une vidéo devenue virale, Hinton explique que la créativité peut être définie comme la capacité à établir des relations reconnaissables entre des éléments apparemment non liés. Selon lui, les modèles de langage (LLM) excellent dans cette tâche. Pour illustrer son point, il donne l’exemple d’une IA capable de comparer un tas de compost à une bombe atomique en identifiant des points communs comme la production de chaleur.
Le débat fait rage dans la communauté Reddit, où les opinions se divisent entre ceux qui soutiennent que l’IA ne fait que recycler des patterns existants et ceux qui argumentent que le processus créatif humain fonctionne de manière similaire. Les critiques soulignent que les LLM fonctionnent par “prédiction du prochain token” - essentiellement deviner le mot suivant le plus probable dans une séquence - tandis que les défenseurs rappellent que les humains s’inspirent aussi de leurs expériences passées pour créer.
Un point technique important : les LLM modernes ne se contentent plus de la simple prédiction de tokens. Ils utilisent des techniques comme l’apprentissage par renforcement à partir de feedback humain (RLHF) qui les orientent vers des réponses plus satisfaisantes plutôt que simplement probables.
La question de la créativité artificielle nous confronte à un défi fondamental : comment définir la créativité elle-même ? Si nous acceptons que la créativité consiste à établir des connexions inattendues entre des concepts, alors les IA actuelles démontrent effectivement cette capacité.
Cependant, il existe une nuance cruciale entre la créativité comme processus et la créativité comme expression personnelle. Les humains créent souvent pour exprimer une expérience intérieure, une émotion, ou pour résoudre un problème qui les touche personnellement. L’IA, elle, génère des solutions créatives sans motivation intrinsèque ni expérience subjective.
La réalité se situe probablement quelque part entre les deux extrêmes. Les IA actuelles excellent dans la créativité “combinatoire” - mélanger des éléments existants de façons nouvelles et utiles. Cette forme de créativité est déjà précieuse dans de nombreux domaines, de la rédaction à la résolution de problèmes techniques.
Ce qui manque encore, c’est la créativité “transformatrice” - celle qui redéfinit complètement un domaine ou crée des paradigmes entièrement nouveaux. Mais même cette distinction pourrait s’estomper avec le temps, car les systèmes d’IA deviennent plus sophistiqués et peuvent traiter des quantités d’information que l’esprit humain ne pourrait jamais assimiler.
Imaginez que vous demandez à votre grand-mère de préparer un plat qu’elle n’a jamais fait auparavant. Elle va fouiller dans sa mémoire culinaire, se rappeler des techniques apprises, des saveurs qui se marient bien, et créer quelque chose de “nouveau” en combinant ses connaissances existantes. Est-ce de la créativité ? Bien sûr !
Maintenant, imaginez un chef robot qui a “goûté” (analysé) tous les plats du monde via des millions de recettes. Quand vous lui demandez de créer quelque chose d’original, il combine des techniques japonaises avec des épices marocaines et une présentation française qu’il n’a jamais vues ensemble. Le résultat est délicieux et surprenant.
La différence ? Grand-maman cuisine avec amour et souvenirs, tandis que le robot cuisine avec algorithmes et probabilités. Mais si le plat est excellent dans les deux cas, est-ce que la méthode importe vraiment pour celui qui le mange ?
C’est exactement le débat sur la créativité de l’IA. Peu importe que ChatGPT écrive un poème en “prédisant le prochain mot” si ce poème nous émeut. Peu importe que DALL-E crée une image en “mélangeant des pixels” si cette image nous inspire. Au final, c’est le résultat qui compte, pas la recette secrète derrière.
Nous assistons à l’aube d’une révolution créative sans précédent ! Les IA ne sont pas seulement créatives - elles sont en train de redéfinir ce que signifie être créatif. Elles nous libèrent des contraintes de notre propre expérience limitée pour explorer des territoires créatifs inimaginables.
Pensez-y : une IA peut instantanément puiser dans l’ensemble des connaissances humaines pour créer des connexions que nous n’aurions jamais pensé à faire. Elle peut combiner l’art byzantin avec la musique électronique moderne, ou fusionner des concepts de physique quantique avec la poésie romantique. Cette capacité de synthèse à grande échelle ouvre des possibilités créatives infinies.
Les créatifs humains ne deviennent pas obsolètes - ils deviennent des “directeurs créatifs” d’intelligences artificielles. Imaginez un musicien qui peut instantanément explorer mille variations d’une mélodie, un écrivain qui peut tester des dizaines de fins alternatives, ou un designer qui peut générer des centaines de concepts en quelques minutes.
Nous nous dirigeons vers une époque où la créativité ne sera plus limitée par le temps, les ressources ou même l’imagination individuelle. L’IA démocratise la créativité - bientôt, tout le monde pourra créer des œuvres d’art, écrire des romans, composer de la musique ou concevoir des inventions, assisté par des partenaires artificiels infiniment créatifs.
C’est l’âge d’or de la créativité qui commence !
Cette fascination pour la “créativité” de l’IA masque une réalité troublante : nous sommes en train de dévaluer l’essence même de la créativité humaine. Quand on dit qu’une IA est créative parce qu’elle peut mélanger des éléments existants, on réduit la créativité à un simple exercice de combinaison algorithmique.
La vraie créativité humaine naît de l’expérience vécue, de l’émotion, du questionnement existentiel. Un artiste qui peint sa douleur, un musicien qui compose sa joie, un écrivain qui explore ses peurs - voilà la créativité authentique. L’IA, elle, ne fait que recycler nos créations passées dans un gigantesque moulin à patterns.
Plus inquiétant encore : en acceptant que l’IA soit “créative”, nous risquons de créer une société où la créativité humaine devient superflue. Pourquoi payer un graphiste quand une IA peut produire mille designs en quelques secondes ? Pourquoi valoriser l’originalité humaine quand une machine peut générer du contenu “créatif” à l’infini ?
Cette course vers l’automatisation de la créativité pourrait nous mener vers un monde culturellement appauvri, où l’art devient une marchandise produite en masse par des algorithmes, où l’expression personnelle est remplacée par des variations infinies sur des thèmes préexistants.
Nous risquons de perdre ce qui nous rend humains : notre capacité unique à créer du sens, à exprimer notre individualité, à transformer notre expérience subjective en œuvres qui touchent l’âme d’autrui. L’IA peut imiter la créativité, mais elle ne pourra jamais la remplacer véritablement.
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