Patrick Bélanger
Article en référence: https://www.reddit.com/gallery/1jkx5ml
OpenAI vient de déployer une nouvelle fonctionnalité appelée “Ghibliverse” pour son modèle d’IA générative d’images, GPT-4o. Cette fonctionnalité permet de transformer n’importe quelle image en une version stylisée rappelant l’esthétique des films du célèbre studio d’animation japonais Studio Ghibli, connu pour des œuvres comme “Mon voisin Totoro” ou “Le voyage de Chihiro”.
Lancée il y a environ 24 heures au moment de la publication Reddit, cette fonctionnalité a rapidement suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Les utilisateurs ont partagé leurs créations, transformant des photos de personnalités politiques, de PDG de grandes entreprises technologiques, et même des mèmes populaires en illustrations de style Ghibli.
Techniquement, cette fonctionnalité utilise un modèle d’intelligence artificielle entraîné à reconnaître et reproduire les caractéristiques visuelles distinctives du style Ghibli : couleurs pastel, traits doux, expressions faciales exagérées et environnements détaillés. Le modèle applique ces caractéristiques à n’importe quelle image fournie par l’utilisateur, créant ainsi une version “ghiblisée” de l’original.
Certains utilisateurs rapportent que la fonctionnalité semble avoir été restreinte peu après son lancement, avec des limitations concernant les images contenant des personnes identifiables ou des références directes à des œuvres protégées par droit d’auteur.
L’arrivée de Ghibliverse illustre parfaitement la dualité de l’innovation technologique dans le domaine de l’IA générative. D’un côté, nous assistons à une prouesse technique impressionnante : la capacité de capturer et reproduire l’essence d’un style artistique distinctif avec une fidélité remarquable. De l’autre, cette même prouesse soulève des questions légitimes sur les frontières de la création, de l’inspiration et de l’appropriation.
Le débat qui émerge autour de cette fonctionnalité n’est ni nouveau ni surprenant. Il s’inscrit dans une conversation plus large sur la façon dont nous définissons la propriété intellectuelle à l’ère numérique. Le style Ghibli est-il simplement un langage visuel que n’importe qui peut apprendre et utiliser, ou représente-t-il l’identité même d’un studio et de ses artistes?
La réalité se situe probablement dans une zone grise. Les modèles d’IA ne créent pas ex nihilo mais apprennent à partir d’œuvres existantes, tout comme les artistes humains s’inspirent de leurs prédécesseurs. La différence fondamentale réside dans la vitesse, l’échelle et l’absence de discernement conscient dans ce processus d’apprentissage.
Ce qui est certain, c’est que nous naviguons en territoire inconnu. Nos cadres juridiques et éthiques actuels n’ont pas été conçus pour répondre aux questions soulevées par ces technologies. L’équilibre entre innovation et respect des créateurs originaux devra être négocié collectivement, à mesure que ces outils se démocratisent et que leurs implications deviennent plus claires.
Imaginez que vous êtes un apprenti pâtissier passionné par les créations d’un grand chef renommé, disons Pierre Hermé. Pendant des années, vous observez ses techniques, vous étudiez ses recettes publiées, vous goûtez ses macarons et vous essayez de comprendre ce qui rend ses desserts si spéciaux.
Après beaucoup de pratique, vous arrivez à créer des pâtisseries qui ressemblent étonnamment à celles de Pierre Hermé. Vos amis n’arrivent pas à faire la différence! Vous êtes fier de votre accomplissement, mais vous ne prétendez pas être Pierre Hermé.
Maintenant, imaginez qu’au lieu de passer des années à apprendre, vous inventez une machine à pâtisserie magique. Vous lui montrez 10 000 photos de macarons de Pierre Hermé, et en quelques heures, votre machine peut produire des copies quasi parfaites de ses créations, à la demande. Vous pouvez même lui demander : “Fais-moi un macaron style Pierre Hermé, mais avec Justin Trudeau dessus” et hop! La machine s’exécute.
C’est un peu ce qui se passe avec Ghibliverse. L’IA a “goûté” des milliers d’images de Studio Ghibli et peut maintenant reproduire leur style en un clic. La question est : est-ce de l’admiration, de l’inspiration ou du plagiat industrialisé?
Comme dirait mon oncle Gilles après trois verres de caribou pendant le temps des sucres : “C’est pas parce que tu sais faire la tourtière comme ma belle-mère que t’as le droit de l’vendre à sa porte!”
Ghibliverse représente une démocratisation fascinante de l’expression artistique! Cette technologie ouvre la porte à un monde où chacun peut explorer sa créativité à travers le prisme d’un style artistique admiré, sans nécessiter des années de formation technique en illustration.
Loin d’être une menace pour les artistes originaux, cette innovation pourrait amplifier leur influence culturelle. Pensez-y: des millions de personnes qui n’auraient peut-être jamais découvert les œuvres de Studio Ghibli sont maintenant exposées à cette esthétique unique, ce qui pourrait les conduire vers les films originaux. C’est une forme de pollinisation culturelle qui élargit l’audience et renforce l’héritage artistique du studio.
Cette technologie pourrait également inspirer une nouvelle génération de créateurs qui, après avoir expérimenté avec ces outils, pourraient développer leur propre style unique. Imaginez des artistes québécois fusionnant l’esthétique Ghibli avec des éléments de notre culture pour créer quelque chose de totalement nouveau!
Pour les créateurs de contenu, les éducateurs, ou même les entreprises locales, Ghibliverse offre un moyen accessible de communiquer des idées complexes à travers un langage visuel universellement apprécié. Un organisme environnemental pourrait illustrer les enjeux de la protection du Saint-Laurent dans un style évocateur qui touche les émotions.
Plutôt que de voir cette technologie comme une appropriation, nous pourrions la considérer comme un hommage évolutif qui permet au style Ghibli de transcender ses origines et de continuer à évoluer dans notre culture collective. C’est l’art qui se réinvente à l’ère numérique!
L’arrivée de Ghibliverse illustre parfaitement la dérive inquiétante de l’IA générative: l’appropriation industrialisée du travail artistique sans consentement ni compensation. Ce n’est pas de l’innovation, c’est de l’extraction de valeur.
Studio Ghibli et Hayao Miyazaki ont consacré des décennies à développer leur style distinctif, fruit d’un travail acharné, d’une vision artistique unique et d’un savoir-faire technique exceptionnel. En quelques mois, OpenAI s’est approprié ce patrimoine artistique pour en faire une simple fonctionnalité marketing.
Ironiquement, Miyazaki lui-même est connu pour sa résistance à la numérisation excessive de l’animation et son attachement au travail manuel. Cette appropriation de son style par une IA représente exactement ce contre quoi il s’est battu toute sa carrière.
Cette tendance menace directement l’écosystème créatif. Pourquoi une entreprise engagerait-elle un illustrateur pour créer des visuels originaux quand elle peut simplement “ghibliser” des photos existantes? Pourquoi un studio d’animation investirait-il dans le développement de nouveaux talents quand l’IA peut imiter les styles établis?
Au-delà de l’aspect économique, c’est l’âme même de l’art qui est en jeu. Les images générées par Ghibliverse peuvent ressembler superficiellement au style Ghibli, mais elles sont dépourvues de l’intention artistique, du contexte culturel et de la profondeur narrative qui caractérisent les œuvres originales.
Cette homogénéisation esthétique risque d’appauvrir notre paysage culturel. Si tout peut être instantanément transformé en “style Ghibli”, que reste-t-il de l’unicité et de la valeur de ce style? Nous glissons vers un monde où l’art devient une simple commodité interchangeable, vidée de son sens et de son contexte.
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