Patrick Bélanger
Article en référence: https://fortune.com/2025/05/24/duolingo-ai-first-employees-ceo-luis-von-ahn/
Le PDG de Duolingo, Luis von Ahn, a récemment fait marche arrière sur ses commentaires controversés concernant l’adoption d’une approche “AI-first” dans son entreprise. Dans un courriel interne qui a fuité, von Ahn avait initialement déclaré vouloir remplacer massivement les employés par l’intelligence artificielle pour réduire les coûts et augmenter l’efficacité.
La réaction du public et des utilisateurs a été immédiate et brutale. Des milliers d’abonnés ont annulé leur souscription premium, abandonnant parfois des séquences de plusieurs centaines de jours d’apprentissage. Les commentaires sur Reddit révèlent une frustration profonde : les utilisateurs reprochent à Duolingo non seulement cette approche déshumanisée, mais aussi la dégradation progressive de l’expérience utilisateur avec une gamification excessive et des stratégies de monétisation agressives.
Face à cette tempête médiatique, von Ahn a tenté de clarifier ses propos en déclarant : “Je ne vois pas l’IA comme remplaçant ce que font nos employés.” Cependant, cette rétractation arrive après que l’entreprise ait déjà licencié environ 20% de son personnel en 2024 pour les remplacer par des systèmes d’IA, particulièrement dans les équipes de création de contenu et de traduction.
L’ironie de la situation n’échappe à personne : Duolingo, une plateforme d’apprentissage des langues, mise sur une technologie qui pourrait rendre l’apprentissage linguistique obsolète grâce à la traduction automatique en temps réel.
Cette controverse révèle un paradoxe fondamental de notre époque technologique : l’écart grandissant entre les promesses de l’IA et la réalité de son implémentation. Von Ahn s’est retrouvé pris entre deux feux - la pression des investisseurs pour maximiser les profits et l’attente légitime des utilisateurs pour un service humain et authentique.
La réaction viscérale des utilisateurs de Duolingo illustre parfaitement où se situe la ligne rouge pour le grand public. Les gens acceptent l’IA comme outil d’amélioration, mais rejettent catégoriquement son utilisation pour remplacer l’élément humain dans l’éducation. Cette distinction n’est pas anodine : elle reflète notre besoin profond de connexion humaine, même dans l’apprentissage numérique.
Le timing de cette polémique est particulièrement révélateur. Nous assistons à un tournant dans la perception publique de l’IA, passant de la fascination à la méfiance. Les entreprises qui misent tout sur l’IA découvrent que leurs utilisateurs valorisent encore l’expertise, l’empathie et la créativité humaines.
La vraie question n’est pas de savoir si l’IA peut remplacer les enseignants, mais plutôt comment elle peut les soutenir sans les déshumaniser. Duolingo aurait pu positionner l’IA comme un assistant pédagogique révolutionnaire, mais a choisi la voie de la substitution pure et simple.
Imaginez que votre restaurant préféré annonce soudainement qu’il remplace tous ses chefs par des robots cuisiniers. “C’est plus efficace, moins cher, et la nourriture sera parfaitement standardisée !” proclame fièrement le propriétaire.
Techniquement, c’est possible. Les robots peuvent suivre des recettes à la perfection, ne tombent jamais malades, et ne demandent pas d’augmentation. Mais quelque chose cloche, non ? Où est passée la passion du chef qui ajuste l’assaisonnement selon son humeur ? Où sont ces petites variations qui rendent chaque plat unique ? Et surtout, où est cette fierté de savoir qu’un être humain a mis son cœur dans votre assiette ?
C’est exactement ce qui s’est passé avec Duolingo. Von Ahn a essentiellement dit à ses millions d’utilisateurs : “Pourquoi avoir des professeurs passionnés quand on peut avoir des algorithmes parfaits ?” Résultat ? Les clients ont voté avec leurs pieds (et leurs portefeuilles), abandonnant leurs séquences d’apprentissage comme on quitte un restaurant qui a perdu son âme.
Le plus ironique ? Dans ce restaurant robotisé, le propriétaire garde précieusement son poste de direction. Apparemment, certains emplois sont trop “créatifs” pour être automatisés… du moins quand c’est le sien !
Cette controverse pourrait bien être le catalyseur dont l’industrie éducative avait besoin pour repenser intelligemment l’intégration de l’IA. Von Ahn, malgré sa maladresse communicationnelle, soulève des questions essentielles sur l’avenir de l’apprentissage personnalisé.
L’IA dans l’éducation linguistique possède un potentiel révolutionnaire authentique. Imaginez des tuteurs virtuels capables de s’adapter instantanément au rythme d’apprentissage de chaque utilisateur, de détecter les lacunes spécifiques et de proposer des exercices sur mesure. L’IA pourrait démocratiser l’accès à un enseignement de qualité supérieure, rendant l’apprentissage des langues accessible à des millions de personnes qui n’ont pas les moyens de s’offrir des cours privés.
Cette crise forcera Duolingo et ses concurrents à développer une approche hybride plus sophistiquée : l’IA pour la personnalisation et l’efficacité, les humains pour l’inspiration et l’accompagnement émotionnel. C’est exactement ce dont l’éducation a besoin - non pas un remplacement, mais une augmentation des capacités humaines.
La réaction passionnée des utilisateurs prouve également que le marché récompensera les entreprises qui sauront équilibrer innovation technologique et valeurs humaines. Cette leçon coûteuse pour Duolingo ouvrira la voie à une nouvelle génération de plateformes éducatives plus conscientes et respectueuses.
Cette rétractation de von Ahn n’est qu’un écran de fumée temporaire. La réalité économique implacable rattrapera tôt ou tard toutes ces belles déclarations. Quand les investisseurs exigeront des marges de profit toujours plus élevées, la tentation de remplacer les salaires humains par des algorithmes redeviendra irrésistible.
Le mal est déjà fait : 20% des employés ont été licenciés, et cette tendance ne fera que s’accélérer discrètement. Les entreprises ont appris la leçon - elles continueront à automatiser, mais en silence, sans fanfare médiatique. Dans cinq ans, nous découvrirons que la plupart des contenus éducatifs sont générés par IA, mais personne n’osera plus l’admettre publiquement.
Plus inquiétant encore, cette course à l’automatisation dans l’éducation risque de créer une génération d’apprenants habitués à des interactions superficielles avec des machines. L’apprentissage deviendra de plus en plus mécanisé, perdant cette dimension humaine essentielle qui stimule la curiosité et la créativité.
Le véritable danger n’est pas que l’IA remplace les professeurs, mais qu’elle formate notre façon d’apprendre et de penser. Duolingo et ses semblables transforment déjà l’éducation en produit de consommation gamifié. Avec l’IA, cette tendance ne fera que s’amplifier, réduisant l’apprentissage à une série d’algorithmes optimisés pour l’engagement plutôt que pour la compréhension profonde.
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