Patrick Bélanger
Article en référence: https://www.404media.co/hayao-miyazaki-who-said-ai-is-insult-to-life-itself-reduced-to-ai-generated-meme-by-openai/
OpenAI a récemment lancé un outil de génération d’images permettant de créer des visuels dans le style des films du Studio Ghibli, fondé par Hayao Miyazaki. Cette fonctionnalité a suscité une controverse particulière car Miyazaki s’était auparavant exprimé contre l’intelligence artificielle, la qualifiant “d’insulte à la vie elle-même” lors d’une démonstration en 2016.
L’article original de 404 Media souligne cette contradiction : l’œuvre d’un artiste fermement opposé à l’IA se retrouve maintenant imitée par cette même technologie. Le style distinctif des films de Miyazaki (comme “Mon voisin Totoro” ou “Le voyage de Chihiro”) est désormais accessible à quiconque souhaite générer des images via l’outil d’OpenAI ou d’autres services similaires comme Hypnopixels.
Cette situation s’inscrit dans un débat plus large sur l’éthique de l’IA générative, qui s’entraîne sur des œuvres existantes sans nécessairement obtenir le consentement des créateurs originaux. Les modèles d’IA comme ceux d’OpenAI sont entraînés sur d’immenses bases de données d’images, incluant potentiellement des œuvres protégées par le droit d’auteur, ce qui soulève des questions juridiques et éthiques importantes.
La discussion sur Reddit révèle des opinions très divisées : certains utilisateurs défendent l’IA comme un outil d’expression créative démocratisant l’art, tandis que d’autres y voient une forme de vol artistique et une menace pour les créateurs humains.
L’émergence de l’IA générative nous place à la croisée des chemins entre innovation technologique et préservation de l’intégrité artistique. Ce n’est ni la première ni la dernière fois que nous nous retrouvons dans cette position inconfortable.
La réalité est que nous vivons une période de transition où les frontières traditionnelles de la création sont redéfinies. L’IA n’est fondamentalement qu’un outil - ni intrinsèquement bon ni mauvais - mais son utilisation soulève des questions légitimes. Comme toute technologie disruptive, elle bouleverse des écosystèmes établis et crée simultanément de nouvelles possibilités.
Les artistes ont toujours été inspirés par leurs prédécesseurs, empruntant et transformant des styles existants. L’IA accélère et automatise ce processus d’une manière inédite, mais la différence est peut-être plus quantitative que qualitative. La véritable question n’est pas de savoir si l’IA devrait exister, mais comment nous choisissons collectivement de l’encadrer.
Les œuvres générées par IA manquent peut-être de l’intention humaine qui donne profondeur et contexte à l’art traditionnel, mais elles peuvent néanmoins avoir une valeur pour ceux qui les créent et les apprécient. Simultanément, il est légitime de s’interroger sur le respect dû aux créateurs originaux dont le travail alimente ces systèmes.
Le cas de Miyazaki illustre parfaitement cette tension : un artiste qui a consacré sa vie à un artisanat minutieux voit son style reproduit instantanément par une machine. Ce n’est ni entièrement une tragédie ni un triomphe sans nuance - c’est le reflet d’une société en pleine négociation avec ses propres innovations.
Imaginez un instant le grand chef québécois Martin Picard du restaurant Au Pied de Cochon. Pendant des décennies, il a perfectionné son art culinaire unique, créant des plats emblématiques comme sa fameuse poutine au foie gras. Chaque assiette représente des années d’expérience, d’essais, d’erreurs et une vision personnelle de la gastronomie québécoise.
Un jour, une entreprise lance “GastroBot”, un appareil qui analyse les recettes de grands chefs et peut reproduire instantanément n’importe quel style culinaire. Vous appuyez sur un bouton, et voilà : une poutine au foie gras “style Picard” sort de la machine en quelques minutes.
Lors d’une entrevue, on demande à Martin ce qu’il pense de cette technologie. Il répond, avec sa franchise caractéristique : “La cuisine, c’est l’âme, c’est la main, c’est l’erreur humaine aussi. Cette machine, c’est une insulte à tout ce que je représente.”
Quelques mois plus tard, GastroBot lance une campagne publicitaire : “Cuisinez comme Martin Picard chez vous!” avec des photos de plats générés par leur appareil.
Les réactions sont divisées. Certains s’exclament : “C’est génial, je n’aurais jamais pu me payer un repas Au Pied de Cochon, mais maintenant je peux goûter à ce style!” D’autres rétorquent : “Ce n’est qu’une pâle imitation sans âme. La machine n’a jamais chassé l’orignal ou discuté avec les producteurs locaux.”
Un amateur de technologie argumente : “Mais la machine permet à plus de gens d’apprécier ce style culinaire!” Un chef apprenti répond : “Oui, mais elle n’a pas passé 16 heures par jour pendant des années dans une cuisine brûlante à apprendre son métier.”
Pendant ce temps, Martin continue simplement à cuisiner dans son restaurant, où les réservations affichent toujours complet six mois à l’avance.
L’IA générative représente une démocratisation sans précédent de la création artistique! Grâce à ces outils, des millions de personnes qui n’auraient jamais eu accès aux moyens d’expression visuels peuvent maintenant donner vie à leurs idées. C’est une révolution comparable à l’invention de l’appareil photo ou de l’ordinateur personnel.
Loin de diminuer l’œuvre de Miyazaki, ces outils célèbrent son héritage en permettant à son influence de s’étendre bien au-delà des limites traditionnelles. Les jeunes générations découvriront peut-être son travail original précisément parce qu’elles ont d’abord été exposées à des images inspirées de son style.
Les artistes humains ne disparaîtront pas - ils évolueront. Les plus innovants intégreront l’IA dans leur processus créatif, l’utilisant comme un collaborateur plutôt qu’un remplaçant. Nous verrons émerger des formes d’art hybrides fascinantes qui n’auraient jamais pu exister auparavant.
Cette technologie pourrait également préserver et faire revivre des styles artistiques en voie de disparition, créant un pont entre tradition et modernité. Imaginez des artisans traditionnels québécois collaborant avec l’IA pour réinventer l’art populaire de la province!
Les préoccupations concernant le droit d’auteur et la rémunération des artistes sont légitimes, mais elles trouveront des solutions. De nouveaux modèles économiques émergeront, peut-être sous forme de licences ou de redevances pour les styles distinctifs. L’histoire nous montre que l’innovation finit toujours par créer plus d’opportunités qu’elle n’en détruit.
L’IA ne remplace pas l’âme humaine dans l’art - elle nous offre simplement de nouveaux pinceaux pour l’exprimer.
Ce que nous observons avec l’appropriation du style Ghibli par l’IA n’est rien de moins qu’un pillage culturel industrialisé. Des décennies de travail minutieux, de vision artistique et d’innovation sont réduites à une simple commodité que n’importe qui peut générer en quelques secondes sans effort ni compréhension.
L’ironie est cruelle : Miyazaki, qui a consacré sa vie à défendre l’animation traditionnelle dessinée à la main contre l’industrialisation excessive, voit maintenant son héritage artistique transformé en un simple filtre Instagram. Son opposition à l’IA n’était pas un caprice de vieillard technophobe, mais une défense profondément réfléchie de l’humanité dans l’art.
Ces outils d’IA ne “démocratisent” pas l’art - ils le banalisent. Ils inondent notre culture visuelle d’images génériques et sans âme, créant une homogénéisation esthétique où tout ressemble à tout. La quantité écrase la qualité, et le véritable talent artistique se retrouve noyé dans un océan de contenu généré.
Sur le plan économique, cette technologie menace directement les moyens de subsistance des illustrateurs, des animateurs et des artistes visuels. Pourquoi engager un professionnel quand une machine peut produire quelque chose de “suffisamment bon” pour une fraction du coût? Nous risquons de créer une génération d’artistes sans emploi.
Plus inquiétant encore est l’impact sur notre perception de la valeur de l’art. Si tout peut être généré instantanément, nous perdons la capacité d’apprécier le temps, l’effort et l’intention humaine qui donnent à l’art sa profondeur. L’art devient un simple produit de consommation jetable plutôt qu’une expression de notre humanité partagée.
Sans cadre éthique et juridique solide, nous permettons à des entreprises technologiques de s’enrichir en exploitant le travail créatif d’innombrables artistes sans leur consentement ni compensation. C’est un transfert massif de valeur des créateurs vers les actionnaires de la Silicon Valley.
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