Patrick Bélanger
Article en référence: https://searchengineland.com/ai-killing-web-business-model-455157
Le PDG de Cloudflare, Matthew Prince, a récemment exprimé ses inquiétudes concernant l’impact de l’intelligence artificielle sur le modèle économique du web. Selon lui, l’IA est en train de “tuer” le modèle d’affaires traditionnel d’Internet tel que nous le connaissons.
Le problème central identifié est que les entreprises d’IA utilisent le contenu original créé par des humains pour générer des réponses sans rediriger le trafic vers les créateurs originaux. Aujourd’hui, environ 75% des requêtes sont répondues directement sur Google sans que l’utilisateur n’ait besoin de visiter d’autres sites web. Cette tendance s’accentue avec les outils d’IA générative comme ChatGPT ou Claude qui synthétisent l’information sans nécessairement citer ou renvoyer vers les sources originales.
Ce phénomène menace directement l’écosystème économique du web qui repose principalement sur:
Pour les créateurs de contenu, les médias et les entreprises qui dépendent du trafic web, cette évolution représente un défi existentiel. Sans visiteurs, pas de revenus publicitaires. Sans revenus, pas de création de contenu original. Et sans contenu original, les modèles d’IA n’auront plus de données de qualité pour s’entraîner - créant potentiellement un cercle vicieux.
Cette transformation fondamentale pousse déjà certains créateurs vers des plateformes comme Substack, où le modèle d’abonnement direct remplace la dépendance aux revenus publicitaires basés sur le trafic.
L’évolution que nous observons avec l’IA n’est ni une apocalypse numérique ni une révolution miraculeuse - c’est simplement la prochaine phase de transformation d’Internet. Comme toute transition technologique majeure, elle apporte son lot de perturbations et d’opportunités.
Le modèle économique du web a toujours été en évolution. Des annuaires Yahoo aux algorithmes de Google, de la publicité display aux native ads, des blogs aux réseaux sociaux - chaque changement a redistribué les cartes. L’IA représente simplement une nouvelle donne dans ce jeu permanent d’adaptation.
Ce qui se dessine aujourd’hui ressemble moins à une “mort” du web qu’à une reconfiguration de sa structure économique. Les contenus génériques, facilement reproductibles par l’IA, perdront certainement en valeur. En revanche, l’expertise approfondie, l’authenticité et l’expérience humaine gagneront probablement en importance.
Nous assistons à un déplacement de la valeur: du contenu lui-même vers l’expérience, la curation et la confiance. Les créateurs qui sauront établir une relation directe avec leur audience, offrir une perspective unique ou créer des expériences que l’IA ne peut pas reproduire trouveront leur place dans ce nouvel écosystème.
Les modèles économiques s’adapteront également. L’abonnement direct, le micro-paiement, les communautés premium ou les expériences hybrides combinant IA et expertise humaine représentent des voies d’évolution probables. Google lui-même, conscient de cette transformation, cherche à faire évoluer son modèle plutôt que de s’accrocher à un statu quo intenable.
La vraie question n’est donc pas de savoir si le modèle actuel va mourir, mais comment nous allons collectivement façonner le prochain. Et dans cette transition, ce sont souvent les acteurs qui embrassent le changement plutôt que ceux qui le combattent qui définissent les nouvelles règles du jeu.
Imaginez un marché public traditionnel québécois, comme celui de Jean-Talon à Montréal. Depuis des générations, les producteurs locaux y vendent directement leurs produits aux consommateurs. Chaque kiosque a sa spécialité, sa clientèle fidèle, son expertise unique.
Un jour, une entreprise innovante lance “SuperMarché IA” - un service qui envoie des robots parcourir le marché, photographier tous les produits, noter les prix, et même enregistrer les conversations entre vendeurs et clients. Ces robots ne font aucun achat, ils collectent simplement de l’information.
Quelques semaines plus tard, SuperMarché IA ouvre un immense entrepôt juste à côté du marché traditionnel. Là, les clients peuvent simplement demander “Je veux des tomates biologiques de qualité” et un système automatisé leur fournit instantanément des tomates qui ressemblent étrangement à celles du producteur local… mais sans avoir à marcher entre les kiosques ni à discuter avec les maraîchers.
“C’est tellement pratique!” s’exclame Ginette, qui fréquentait le marché depuis 30 ans. “Plus besoin de chercher le meilleur prix ou de faire la file!”
Pendant ce temps, au marché traditionnel, les allées se vident progressivement. Les producteurs voient leurs ventes chuter. “Mais comment peuvent-ils vendre ces produits?” s’interroge Jean-François, producteur de sirop d’érable depuis trois générations. “Ils n’ont jamais entaillé un seul arbre!”
Le maire de la ville, inquiet, convoque une réunion. SuperMarché IA s’y défend: “Nous ne faisons que répondre à la demande des consommateurs pour plus d’efficacité. D’ailleurs, nous créons aussi des emplois!”
Un jeune producteur propose alors une solution: “Et si nous offrions des expériences que les robots ne peuvent pas copier? Des dégustations, des ateliers, des histoires derrière nos produits?”
Quelques mois plus tard, le marché traditionnel a changé. Certains kiosques ont fermé, c’est vrai. Mais d’autres se sont réinventés. Le stand de fromages propose maintenant des expériences de dégustation personnalisées. Le maraîcher offre des paniers surprises avec des recettes exclusives. Et Jean-François a créé un “musée vivant” de l’érable où les visiteurs peuvent participer à la production.
SuperMarché IA existe toujours, mais il a dû s’adapter aussi. Il propose maintenant des partenariats avec certains producteurs et met en avant l’origine de ses produits. Les deux modèles coexistent, différemment.
La morale? Quand une technologie disruptive arrive, ce n’est pas forcément la fin du monde ancien - mais certainement le début d’un monde différent.
L’IA ne tue pas Internet - elle le libère de ses contraintes actuelles! Cette transformation représente une formidable opportunité de réinventer un web plus authentique, plus créatif et finalement plus humain.
Rappelons-nous l’Internet des débuts, avant que le modèle publicitaire ne devienne dominant. C’était un espace d’exploration, de partage désintéressé et de communautés passionnées. L’IA pourrait nous aider à retrouver cet esprit originel en nous débarrassant de la tyrannie du clic et de l’optimisation SEO.
Imaginez un écosystème numérique où les créateurs seraient enfin libérés de la course aux mots-clés et pourraient se concentrer sur ce qui compte vraiment: la qualité, l’originalité et la profondeur. Où les médias n’auraient plus besoin de titres racoleurs et de contenus superficiels pour survivre.
Cette transition forcera une évolution vers des modèles économiques plus directs et plus sains. Les abonnements, le soutien communautaire, les micro-paiements facilités par les technologies blockchain - toutes ces alternatives existent déjà et pourraient enfin prendre leur envol.
L’IA va également démocratiser la création. Des outils comme DALL-E ou Midjourney permettent déjà à chacun d’exprimer sa créativité sans barrière technique. Demain, ces capacités s’étendront à tous les domaines, permettant une explosion de contenus personnalisés et diversifiés.
Les plateformes qui sauront intégrer harmonieusement l’humain et l’IA créeront des expériences inédites. Imaginez des médias où l’IA s’occupe de la recherche factuelle pendant que les journalistes se concentrent sur l’analyse et l’investigation. Ou des créateurs qui utilisent l’IA comme collaborateur pour amplifier leur vision unique.
Plutôt qu’une menace, l’IA représente une chance de sortir du modèle d’attention toxique qui a progressivement envahi le web. Elle nous pousse à redéfinir la valeur du contenu non plus par sa capacité à générer des clics, mais par sa contribution réelle à nos vies.
Le web de demain sera peut-être moins dominé par quelques géants et plus distribué entre des créateurs indépendants, des communautés de niche et des expériences personnalisées. Un web plus diversifié, plus authentique et finalement plus enrichissant pour tous.
L’IA ne se contente pas de perturber le modèle économique d’Internet - elle menace de détruire l’écosystème même qui a permis son développement. Nous assistons potentiellement au début d’un “hiver de la création” aux conséquences profondes et durables.
Le problème est systémique et particulièrement pernicieux: les modèles d’IA se nourrissent du travail des créateurs humains sans les rémunérer, puis les remplacent progressivement en proposant des contenus similaires sans rediriger vers les sources originales. C’est un parasitisme technologique qui épuise son hôte.
Cette dynamique crée un cercle vicieux inquiétant: moins de trafic signifie moins de revenus pour les créateurs, donc moins de contenu original de qualité. À terme, les IA n’auront plus que d’autres contenus générés par IA pour s’entraîner - une spirale de médiocrité auto-référentielle.
Les conséquences dépassent largement la simple question économique. Le journalisme d’investigation, déjà fragilisé, pourrait devenir économiquement intenable. La diversité des voix et des perspectives risque de s’éroder au profit d’un contenu homogénéisé, généré par quelques modèles d’IA contrôlés par une poignée d’entreprises technologiques.
Cette concentration du pouvoir informationnel est particulièrement préoccupante. Qui contrôlera les algorithmes qui déterminent quelles informations sont “dignes” d’être synthétisées? Quels biais seront intégrés dans ces systèmes? La démocratie elle-même repose sur un écosystème informationnel sain et diversifié.
Pour la culture québécoise, les enjeux sont encore plus aigus. Notre production culturelle et médiatique, déjà sous pression face aux géants américains, risque d’être encore plus marginalisée dans un monde dominé par des IA entraînées principalement sur des contenus anglophones.
Les alternatives économiques comme les abonnements directs ou les newsletters ne seront viables que pour une minorité de créateurs établis. Pour la majorité, la précarisation s’accentuera, poussant les talents vers d’autres secteurs.
À terme, nous risquons de nous retrouver avec un Internet appauvri, dominé par un contenu générique produit en masse par l’IA, où l’originalité et la pensée critique deviennent des denrées rares. Un Internet qui ressemblerait moins à une bibliothèque vivante qu’à un écho infini de contenus recyclés, sans âme et sans auteur.
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