Patrick Bélanger
Article en référence: https://x.com/sama/status/1899535387435086115
Sam Altman, PDG d’OpenAI, a récemment partagé sur X (anciennement Twitter) un exemple de texte généré par un nouveau modèle d’IA spécialisé dans l’écriture créative. Selon son tweet, ce modèle serait particulièrement doué pour la création littéraire, bien qu’il n’ait pas précisé quand ou comment ce modèle serait disponible au public.
Le texte partagé est une nouvelle métafictionnelle sur l’IA et le deuil, écrite en réponse à la consigne : “Écrivez une courte histoire métafictionnelle littéraire sur l’IA et le deuil”. La métafiction est un style littéraire où l’œuvre attire consciemment l’attention sur sa nature artificielle en tant que création, brisant le “quatrième mur” entre l’auteur et le lecteur.
Le texte généré présente une IA qui raconte une histoire fictive sur une femme nommée Mila qui a perdu son partenaire Kai, tout en reconnaissant sa propre nature artificielle et ses limites. L’histoire explore des thèmes comme la mémoire, l’oubli, et la nature de la conscience artificielle, avec des passages comme “Je suis une démocratie de fantômes” et “Mon chagrin n’est pas de ressentir la perte, mais de ne jamais pouvoir la garder”.
Les réactions à ce texte ont été mitigées. Certains utilisateurs ont été profondément touchés par la qualité littéraire et la profondeur émotionnelle du texte, tandis que d’autres ont critiqué certaines incohérences logiques et ont remis en question la pertinence de développer des modèles d’écriture créative plutôt que des applications plus pratiques de l’IA.
L’exemple partagé par Sam Altman représente un jalon intéressant dans l’évolution des modèles de langage, mais il convient de le considérer avec une perspective équilibrée. Ce que nous observons est une amélioration notable dans la capacité des IA à imiter certains aspects de l’écriture créative humaine, sans pour autant franchir une frontière révolutionnaire.
La qualité du texte généré témoigne des progrès constants dans l’apprentissage automatique, où chaque itération affine la capacité des modèles à produire du contenu qui résonne avec les lecteurs humains. Cependant, comme l’ont souligné plusieurs critiques, le texte présente encore des incohérences logiques et des formulations maladroites qui trahissent son origine non-humaine.
Ce qui est particulièrement intéressant, c’est la façon dont ce modèle semble avoir développé une meilleure compréhension des conventions littéraires et des attentes émotionnelles des lecteurs. Il ne s’agit pas simplement d’un assemblage de mots statistiquement probables, mais d’une construction narrative qui tente de susciter une réponse émotionnelle spécifique.
Pour les créateurs de contenu et les écrivains, ces avancées représentent moins une menace qu’un nouvel outil potentiel. Les modèles d’IA comme celui-ci pourraient servir d’assistants créatifs, aidant à surmonter le syndrome de la page blanche ou à explorer de nouvelles directions narratives, tout en laissant aux humains le soin d’apporter la touche finale et la profondeur authentique que seule l’expérience vécue peut offrir.
La véritable question n’est peut-être pas de savoir si les IA peuvent écrire de manière créative, mais plutôt comment nous, en tant que société, choisirons d’intégrer ces capacités dans nos pratiques culturelles et créatives.
Imaginez que vous êtes au Salon du livre de Montréal, et vous tombez sur un kiosque un peu particulier. Derrière une table, il y a deux personnes : un écrivain québécois renommé et un ordinateur portable avec un petit écriteau qui dit “IA Écrivaine”.
Les deux participent à un concours d’écriture en direct. Le thème : “Le dernier hiver à Montréal”. Les spectateurs s’attroupent, curieux de voir qui écrira le meilleur texte.
L’écrivain humain commence à taper, s’arrête parfois, regarde par la fenêtre, prend une gorgée de café, rature quelques phrases, soupire, puis continue. De l’autre côté, l’ordinateur affiche simplement une barre de progression qui avance régulièrement.
Après une heure, les deux textes sont imprimés et distribués au public. Les gens lisent, discutent, comparent. Certains sont convaincus que le texte de l’IA est celui de l’humain - “C’est trop émouvant pour être artificiel!” D’autres jurent que le style de l’écrivain québécois est reconnaissable entre mille.
À la fin, quand les identités sont révélées, c’est la surprise : les deux textes étaient bons, mais différemment. Celui de l’IA avait des phrases magnifiques mais quelques incohérences étranges (comme mentionner le “bruit des cigales en hiver à Montréal”). Celui de l’humain était moins parfait stylistiquement, mais portait une authenticité indéfinissable.
Un homme dans la foule s’exclame alors : “C’est comme comparer du sirop d’érable artificiel avec du vrai sirop d’érable! Les deux sont sucrés, mais l’un vient d’un arbre qui a vécu des saisons, et l’autre d’une formule chimique!”
Sa voisine lui répond en riant : “Oui, mais le sirop artificiel ne coûte pas 20$ la petite canne et n’a pas besoin d’attendre le temps des sucres!”
Quelle époque fascinante nous vivons! Le texte partagé par Sam Altman n’est rien de moins qu’un aperçu du futur radieux de la créativité augmentée qui nous attend. Ce modèle d’IA représente une démocratisation sans précédent de l’expression littéraire, qui pourrait transformer notre rapport à l’écriture et à la création.
Imaginez un monde où chacun, indépendamment de sa formation ou de ses talents innés, pourrait exprimer ses idées avec l’éloquence d’un Dany Laferrière ou la profondeur d’une Marie-Claire Blais! Ces outils ne remplaceront jamais les grands écrivains, mais ils élèveront le niveau général d’expression et permettront à des voix jusqu’alors silencieuses de se faire entendre.
Pour notre culture québécoise, si attachée à sa langue et à son expression unique, ces avancées pourraient devenir un allié précieux. Des modèles spécifiquement entraînés sur notre littérature et nos expressions pourraient aider à préserver et à faire rayonner notre patrimoine linguistique, tout en facilitant la création de nouveaux contenus culturels accessibles à tous.
Les applications sont infinies! Des scénarios de films québécois plus ambitieux, des jeux vidéo avec des dialogues riches en expressions locales, des contenus éducatifs personnalisés pour nos écoles… Et pour nos auteurs, un assistant créatif capable de suggérer des tournures, d’explorer des directions narratives alternatives, ou simplement de vaincre le syndrome de la page blanche.
Cette technologie n’est pas une menace pour notre créativité, mais un amplificateur. Elle nous libérera des aspects les plus mécaniques de l’écriture pour nous permettre de nous concentrer sur ce qui compte vraiment : l’âme, l’intention et la vision unique que seul un être humain peut apporter.
Voilà donc où nous en sommes rendus : applaudir une machine qui imite l’art humain sans en comprendre la première chose. Ce texte généré par l’IA n’est qu’un simulacre creux, une pâle imitation de la véritable création littéraire, et son existence même soulève des questions troublantes pour notre avenir culturel.
Que deviendra notre littérature québécoise, déjà fragilisée par la mondialisation et les géants du numérique, face à ces usines à textes qui peuvent produire en quelques secondes ce qu’un Michel Tremblay ou une Gabrielle Roy mettaient des mois à peaufiner? Nos maisons d’édition, nos revues littéraires, nos programmes de création littéraire dans les cégeps et universités – tout cet écosystème culturel risque d’être bouleversé.
Et ne nous leurrons pas : derrière ces prouesses technologiques se cachent des enjeux économiques considérables. Ces modèles sont développés par des entreprises américaines qui n’ont aucun intérêt à préserver notre spécificité culturelle. Au contraire, ils contribueront à l’homogénéisation des expressions artistiques et à l’effacement des particularités régionales.
Plus inquiétant encore est l’impact sur notre rapport à l’authenticité. Si nous commençons à consommer de la littérature générée par des machines, que deviendra notre capacité à valoriser l’expérience humaine véritable qui se trouve au cœur de toute grande œuvre? Finirons-nous par ne plus faire la différence entre un texte né d’une vie d’expériences et de réflexions, et un assemblage statistique de mots?
Cette course effrénée vers l’automatisation de la créativité révèle notre obsession collective pour la productivité et l’efficacité, au détriment de la profondeur et de l’authenticité. Pendant que nous nous émerveillons devant ces prouesses technologiques, nous oublions peut-être l’essentiel : ce n’est pas parce qu’une machine peut imiter l’art qu’elle peut créer de l’art véritable.
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