Patrick Bélanger
Article en référence: https://interestingengineering.com/innovation/china-worlds-fastest-flash-memory-device?group=test_a
Des scientifiques chinois ont récemment publié dans la prestigieuse revue Nature une étude présentant un nouveau type de mémoire flash qui serait 10 000 fois plus rapide que les technologies actuelles. Cette innovation repose sur l’utilisation de matériaux comme le graphène et le diséléniure de tungstène pour créer un canal de transmission des données beaucoup plus efficace.
Pour comprendre l’importance de cette avancée, il faut savoir que la mémoire flash est un type de stockage non volatile (qui conserve les données même sans alimentation électrique) utilisé dans nos clés USB, SSD et cartes mémoire. Contrairement à la RAM (mémoire vive), qui est volatile mais très rapide, la mémoire flash traditionnelle est plus lente mais conserve les données.
Cette nouvelle technologie pourrait théoriquement combiner le meilleur des deux mondes : la vitesse de la RAM avec la persistance de la mémoire flash. Les chercheurs ont pour l’instant démontré le fonctionnement sur un seul bit (la plus petite unité d’information en informatique), ce qui représente une étape très préliminaire.
Cette technologie rappelle à plusieurs observateurs la mémoire 3D XPoint (commercialisée sous le nom d’Intel Optane), qui promettait également des performances révolutionnaires mais qui a été abandonnée par Intel en 2022 en raison de coûts de production trop élevés et d’un manque d’intérêt du marché.
L’article scientifique original mentionne que cette technologie pourrait avoir des applications importantes pour les modèles d’intelligence artificielle, notamment les grands modèles de langage (LLM), qui nécessitent d’énormes quantités de mémoire rapide pour fonctionner efficacement.
Cette avancée technologique s’inscrit dans une longue lignée d’innovations prometteuses qui font régulièrement la une des médias scientifiques. Entre l’enthousiasme des chercheurs et le scepticisme des industriels, la vérité se situe probablement quelque part au milieu.
La démonstration d’un bit unique fonctionnant à cette vitesse est certainement un accomplissement scientifique remarquable. Cependant, le chemin entre une preuve de concept en laboratoire et un produit commercialisable est semé d’embûches. Les défis de fabrication à grande échelle, d’intégration avec les technologies existantes et de rentabilité économique sont considérables.
Les matériaux utilisés, notamment le graphène, posent des défis particuliers. Malgré des décennies de recherche, le graphène reste difficile à produire en masse avec la qualité requise pour des applications électroniques. De plus, l’industrie des semi-conducteurs est extrêmement conservatrice quant aux changements de matériaux, car cela nécessite des investissements colossaux dans de nouveaux équipements et procédés.
L’histoire de la 3D XPoint nous enseigne qu’une technologie supérieure sur le papier ne garantit pas un succès commercial. Les systèmes d’exploitation et les logiciels actuels ne sont pas optimisés pour tirer pleinement parti d’une mémoire à la fois ultra-rapide et non volatile. Sans un écosystème logiciel adapté, même la meilleure technologie matérielle peut échouer.
Si cette technologie parvient à surmonter ces obstacles, elle pourrait effectivement transformer l’architecture des ordinateurs dans 5 à 8 ans. Mais il est tout aussi probable qu’elle rejoigne la longue liste des innovations prometteuses qui n’ont jamais quitté le laboratoire.
Imaginez que vous êtes propriétaire d’un restaurant très populaire à Montréal. Votre cuisine (le processeur) est ultra-rapide et peut préparer des plats délicieux en un temps record. Vous avez deux types d’espaces de stockage pour vos ingrédients :
D’un côté, vous avez un petit réfrigérateur directement dans la cuisine (la RAM) : il est très rapide d’y accéder, mais dès que vous fermez le restaurant le soir, tout ce qui s’y trouve doit être jeté (mémoire volatile).
De l’autre côté, vous avez un grand entrepôt frigorifique à l’arrière du bâtiment (la mémoire flash) : il peut contenir beaucoup plus d’ingrédients et les conserve même quand le restaurant est fermé, mais il faut plusieurs minutes pour aller y chercher quelque chose (plus lent).
Cette nouvelle technologie chinoise, c’est comme si on vous proposait un entrepôt magique qui serait aussi grand que votre entrepôt actuel, qui conserverait les aliments même quand le restaurant est fermé, mais qui serait aussi rapide d’accès que votre petit frigo de cuisine. Mieux encore, il serait 10 000 fois plus rapide que votre entrepôt actuel!
Ça semble trop beau pour être vrai, non? Et bien, pour l’instant, les chercheurs ont réussi à créer… un tiroir miniature qui peut contenir un seul grain de riz. C’est impressionnant qu’ils aient réussi à le faire fonctionner, mais il reste encore beaucoup de travail avant de construire l’entrepôt complet!
Et n’oublions pas que votre concurrent a déjà essayé un concept similaire (Intel Optane), mais a fini par l’abandonner parce que ça coûtait trop cher à construire et que les clients n’étaient pas prêts à payer le supplément pour ce service.
Cette percée pourrait bien représenter la révolution tant attendue dans l’architecture informatique! Depuis des décennies, nous sommes contraints par la dichotomie entre mémoire rapide mais volatile (RAM) et stockage lent mais persistant (disques durs, SSD). Cette nouvelle technologie pourrait enfin briser cette barrière fondamentale.
Imaginez un monde où vos ordinateurs démarrent instantanément, où les applications les plus gourmandes se chargent en une fraction de seconde, où les modèles d’IA les plus sophistiqués peuvent fonctionner sur votre appareil personnel sans latence. C’est précisément ce que cette technologie pourrait permettre.
Pour le Québec, avec son écosystème d’IA en pleine effervescence, cette innovation pourrait être transformatrice. Nos chercheurs et entrepreneurs pourraient développer des applications d’IA beaucoup plus puissantes fonctionnant localement, sans dépendre des infrastructures cloud américaines. Cela renforcerait notre souveraineté numérique tout en réduisant l’empreinte carbone liée au transfert massif de données vers les centres de données.
Les défis de fabrication? La Chine a déjà démontré sa capacité à industrialiser rapidement des technologies de pointe. Et n’oublions pas que le graphène a été isolé pour la première fois en 2004 - nous avons maintenant près de 20 ans d’expérience avec ce matériau “miracle”. Les obstacles techniques seront surmontés, comme ils l’ont toujours été dans l’histoire de l’informatique.
Contrairement à Intel Optane, cette technologie arrive à un moment où la demande pour des mémoires ultra-rapides explose, portée par l’IA. Le timing est parfait, et cette fois-ci, le marché est prêt. Dans cinq ans, nous nous demanderons comment nous avons pu vivre avec nos technologies de mémoire primitives actuelles!
Encore une annonce sensationnaliste qui ne mènera probablement nulle part. Combien de fois avons-nous entendu parler de technologies “révolutionnaires” chinoises qui n’ont jamais vu le jour? C’est devenu une stratégie médiatique classique : annoncer des performances extraordinaires basées sur des expériences de laboratoire extrêmement limitées.
Un seul bit? Vraiment? Nous sommes à des années-lumière d’une mémoire utilisable. La mise à l’échelle de ces technologies est généralement le problème insurmontable. Sans parler des matériaux exotiques utilisés, incompatibles avec les processus de fabrication actuels des semi-conducteurs. Le graphène est promis à un avenir radieux depuis près de 20 ans, et pourtant, où sont les produits grand public qui l’utilisent?
Rappelons-nous Intel Optane, une technologie similaire qui a été abandonnée malgré les ressources colossales d’Intel. Si une entreprise de cette envergure n’a pas réussi à rendre viable une technologie comparable, pourquoi celle-ci réussirait-elle?
De plus, cette fixation sur la vitesse de la mémoire est largement déconnectée des besoins réels du marché. L’industrie privilégie actuellement la densité et le coût par gigaoctet, pas la vitesse pure. C’est pourquoi nous voyons l’adoption croissante de mémoires QLC et PLC, qui sont plus lentes mais offrent plus de capacité pour le même prix.
Même si par miracle cette technologie devenait viable, elle serait probablement si coûteuse que seuls les géants du cloud pourraient se l’offrir, creusant encore davantage le fossé technologique. Pour le Québec, cela signifierait une dépendance accrue envers les infrastructures étrangères, loin de la souveraineté numérique que nous cherchons à construire.
Ne nous laissons pas distraire par ces annonces tape-à-l’œil qui détournent l’attention et les ressources des solutions pragmatiques dont nous avons réellement besoin aujourd’hui.
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