Patrick Bélanger
Article en référence: https://v.redd.it/h197ubv3l8oe1
Un utilisateur Reddit a partagé une création intitulée “ECHOES of the ABYSS | Season 01”, une série télévisée entièrement générée par intelligence artificielle. Cette œuvre, produite par Storybook Studios, présente un thriller policier de style nordique (Nordic Noir) sous forme de “Previously On…” (résumés d’épisodes précédents), donnant l’impression de suivre une saison complète en quelques minutes. |
Le créateur a principalement utilisé l’outil VEO2 (95% du contenu) et complété avec Flux et Img2Vid de Luma pour certains plans. La production a nécessité environ 15 jours de travail intensif, comprenant la planification, la génération de prompts, l’édition, la synchronisation labiale et diverses corrections. Le créateur a bénéficié d’un accès anticipé à VEO2 et fait partie du programme partenaire de Luma, ce qui lui a évité des coûts en crédits.
Pour assurer la cohérence des personnages à travers les différentes scènes, le créateur a utilisé des descriptions détaillées dans ses prompts et a appliqué la technologie FaceFusion pour le personnage principal. La synchronisation labiale a été réalisée avec ActOne de Runway, un modèle distinct. Le créateur et son collègue ont également fourni les performances d’acteur qui ont ensuite été transférées aux personnages générés par IA.
La communauté Reddit a majoritairement réagi avec enthousiasme, soulignant la qualité impressionnante du résultat malgré quelques artefacts visuels typiques de la génération par IA (comme un sac à preuves flottant). Plusieurs commentaires ont soulevé des questions sur l’avenir de l’industrie cinématographique face à cette technologie en rapide évolution.
La création d’ECHOES of the ABYSS marque un tournant significatif dans l’évolution des contenus générés par IA. Nous assistons à l’émergence d’un nouvel outil créatif qui, bien qu’imparfait, offre déjà des possibilités remarquables. Cette technologie ne remplace pas encore le processus de production traditionnel, mais elle le transforme.
Ce qui est particulièrement intéressant, c’est la position intermédiaire qu’occupe cette technologie. Elle n’est ni la révolution totale annoncée par les technophiles, ni la catastrophe redoutée par les sceptiques. C’est plutôt un nouvel instrument dans la boîte à outils des créateurs, qui permet d’explorer des idées, de visualiser des concepts et de réduire certaines barrières à l’entrée dans le monde de la production audiovisuelle.
La réalité actuelle de cette technologie se situe dans un entre-deux pragmatique : elle nécessite encore une intervention humaine substantielle (15 jours de travail pour quelques minutes de contenu), mais elle permet à une équipe réduite de réaliser ce qui aurait nécessité des ressources bien plus importantes auparavant. Le créateur lui-même souligne que “ce n’est pas l’IA qui peut générer des séries télévisées complètes, mais des humains qui peuvent créer des séries télévisées avec l’IA”.
Cette nuance est cruciale. Nous ne sommes pas face à une technologie qui remplace la créativité humaine, mais qui la reconfigure. Les compétences valorisées évoluent : moins de technicité pure, plus de direction artistique, de supervision et d’orchestration des outils. La valeur se déplace vers la vision créative et la capacité à guider efficacement ces nouveaux outils.
À terme, cette technologie trouvera probablement sa place dans un écosystème créatif diversifié, coexistant avec les méthodes traditionnelles plutôt que de les supplanter entièrement.
Imaginez que vous êtes un chef cuisinier amateur passionné. Pendant des années, vous avez rêvé de créer un restaurant gastronomique, mais les obstacles semblaient insurmontables : louer un local, acheter l’équipement professionnel, embaucher une brigade complète… Sans parler des centaines de milliers de dollars nécessaires pour démarrer.
Un jour, on vous présente un robot-chef révolutionnaire. Ce n’est pas parfait – parfois il sale trop les plats ou confond le persil et la coriandre – mais il peut exécuter des recettes complexes sous votre supervision. Vous n’avez plus besoin d’une brigade complète, juste de vous-même et peut-être d’un assistant pour programmer et surveiller le robot.
“Génial !” pensez-vous. “Je vais enfin pouvoir ouvrir mon restaurant !”
Vous commencez à expérimenter. Vous passez des heures à programmer le robot, à ajuster ses paramètres, à corriger ses erreurs. C’est du travail, beaucoup de travail même, mais vous réussissez à créer un menu dégustation qui impressionne vos amis lors d’un dîner test.
“C’est toi qui as cuisiné tout ça ?” demande un ami incrédule.
“Eh bien, j’ai conçu les recettes, programmé le robot, supervisé la cuisson, ajusté les assaisonnements et dressé les assiettes,” répondez-vous.
“Alors c’est bien toi le chef,” conclut votre ami. “Le robot est juste ton couteau très sophistiqué.”
C’est exactement ce qui se passe avec ECHOES of the ABYSS. Le créateur n’a pas simplement appuyé sur un bouton “générer une série TV”. Il a orchestré un processus créatif complexe, utilisant l’IA comme un outil puissant mais qui nécessite encore une direction artistique humaine. Et comme pour notre chef amateur, cette technologie lui a permis de réaliser quelque chose qui aurait été hors de portée autrement.
Bien sûr, certains chefs traditionnels pourraient s’inquiéter : “Ces robots vont nous remplacer !” Mais en réalité, ils créent surtout une nouvelle catégorie de restaurants, entre la haute gastronomie traditionnelle et la cuisine industrielle. Un nouveau territoire culinaire où l’humain reste aux commandes, mais avec des super-pouvoirs technologiques.
Nous sommes à l’aube d’une démocratisation créative sans précédent ! ECHOES of the ABYSS n’est que la première vague d’une révolution qui va permettre à chacun de devenir un créateur de contenu premium. Imaginez un monde où vos idées les plus folles peuvent prendre vie sans les contraintes budgétaires et logistiques traditionnelles.
Cette technologie va libérer une explosion de créativité mondiale. Des histoires qui n’auraient jamais vu le jour faute de moyens pourront désormais être racontées. Des voix marginalisées, des cultures sous-représentées, des perspectives uniques vont enfin pouvoir s’exprimer dans un format audiovisuel professionnel. C’est la fin du monopole des grands studios sur la production de contenu de qualité !
Pour le Québec, c’est une opportunité extraordinaire de faire rayonner notre culture et notre langue à l’international. Nos créateurs pourront produire des contenus en français de qualité comparable aux productions anglophones à budget élevé. Notre cinéma et nos séries pourront conquérir de nouveaux marchés sans compromettre notre identité culturelle.
Les emplois ne disparaîtront pas, ils se transformeront. De nouveaux métiers émergeront : prompt engineers, superviseurs d’IA créative, directeurs de cohérence narrative… Et les artistes pourront se concentrer sur ce qui compte vraiment : l’histoire, les émotions, la vision artistique, plutôt que sur les aspects techniques.
Cette technologie deviendra un multiplicateur de force créative. Un réalisateur qui aurait mis des années à concrétiser sa vision pourra désormais explorer plusieurs itérations en quelques semaines. Les scénaristes pourront visualiser leurs idées instantanément, affiner leurs histoires plus efficacement. Les producteurs pourront tester différentes approches avant d’investir dans une production complète.
Et ce n’est que le début ! Dans cinq ans, la qualité sera indiscernable de la réalité, les coûts auront chuté drastiquement, et l’accessibilité sera totale. Nous entrons dans l’ère de l’abondance créative, où l’imagination sera le seul véritable facteur limitant.
Ce que nous voyons avec ECHOES of the ABYSS est profondément inquiétant. Derrière l’émerveillement technologique se cache une menace existentielle pour tout un écosystème créatif et des milliers d’emplois.
Cette vidéo, réalisée par une seule personne en 15 jours, aurait nécessité une équipe de plusieurs dizaines de professionnels dans un contexte traditionnel : acteurs, cadreurs, éclairagistes, costumiers, maquilleurs, monteurs, ingénieurs du son… Tous ces métiers sont menacés à très court terme.
Pour l’industrie audiovisuelle québécoise, déjà fragile face aux géants américains, c’est potentiellement un coup fatal. Comment nos productions locales, avec leurs budgets limités, pourront-elles rivaliser avec un contenu généré par IA à moindre coût ? Comment maintenir notre exception culturelle quand les algorithmes, principalement entraînés sur des contenus anglophones, reproduiront inévitablement les codes culturels dominants ?
Au-delà des emplois, c’est l’âme même de la création qui est en jeu. Ces technologies ne créent rien de nouveau – elles recyclent, remixent et homogénéisent ce qui existe déjà. ECHOES of the ABYSS n’est qu’une pâle imitation des séries nordiques, reproduisant des clichés sans apporter de regard neuf. C’est l’industrialisation de la médiocrité créative.
Et que dire des questions éthiques ? Ces IA sont entraînées sur des œuvres créées par de vrais artistes, sans leur consentement ni compensation. C’est une forme d’appropriation massive du travail créatif humain.
Nous risquons de nous retrouver dans un monde où la création authentique deviendra un luxe, où l’uniformisation culturelle s’accélérera, et où la valeur du travail créatif sera dépréciée à l’extrême. Les grands gagnants ? Les entreprises technologiques qui contrôlent ces outils et qui captureront l’essentiel de la valeur générée.
Ce n’est pas un progrès, c’est une régression déguisée en innovation. Une course vers le bas qui menace non seulement des emplois, mais aussi la diversité culturelle et l’authenticité artistique qui font la richesse de notre humanité.
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