Patrick Bélanger
Article en référence: https://arstechnica.com/ai/2025/05/google-is-quietly-testing-ads-in-ai-chatbots/
Google teste discrètement l’intégration de publicités dans ses chatbots d’intelligence artificielle, notamment Gemini. Selon un article d’Ars Technica publié le 2 mai 2025, cette initiative marque un tournant dans la monétisation des assistants IA conversationnels.
Les chatbots IA, ou agents conversationnels basés sur des grands modèles de langage (LLM), sont des systèmes capables de générer du texte semblable à celui d’un humain en réponse à des questions ou des instructions. Jusqu’à présent, les entreprises comme Google, OpenAI (ChatGPT) et Anthropic (Claude) ont principalement monétisé ces services via des abonnements premium, mais l’introduction de publicités représente une nouvelle stratégie de revenus.
Cette décision s’inscrit dans la logique économique de Google, dont le modèle d’affaires repose à 80% sur les revenus publicitaires. La société cherche visiblement à appliquer ce modèle éprouvé à ses nouvelles technologies d’IA, potentiellement pour maintenir l’accès gratuit à Gemini tout en couvrant les coûts substantiels liés à l’exécution de ces modèles d’IA avancés.
En parallèle, OpenAI a déclaré ne pas prévoir d’intégrer des publicités dans ses services, préférant apparemment se concentrer sur son modèle d’abonnement. Microsoft avait déjà expérimenté l’intégration de publicités dans son chatbot Bing dès février 2023, ce qui suggère que cette tendance pourrait se généraliser dans l’industrie.
L’arrivée des publicités dans les chatbots IA était prévisible et représente l’équilibre délicat entre accessibilité et rentabilité. Les modèles d’IA générative comme Gemini consomment d’importantes ressources de calcul, générant des coûts opérationnels considérables. Face à cette réalité économique, trois options s’offrent aux entreprises : faire payer les utilisateurs via des abonnements, monétiser via la publicité, ou subir des pertes financières insoutenables à long terme.
Le modèle freemium avec publicités pourrait démocratiser l’accès à ces technologies puissantes. Tout comme Google Search ou YouTube, un système à deux niveaux (gratuit avec publicités ou payant sans publicités) permettrait à tous d’accéder à ces outils, indépendamment de leur capacité financière.
La véritable question n’est pas tant la présence de publicités, mais leur implémentation. Des annonces clairement identifiées et séparées des réponses générées préserveraient l’intégrité du service, tandis que des recommandations de produits intégrées subtilement dans les réponses soulèveraient d’importantes questions éthiques. Le défi pour Google sera de trouver un équilibre qui respecte la confiance des utilisateurs tout en générant les revenus nécessaires.
Cette évolution reflète la maturation du marché de l’IA générative, qui passe d’une phase d’exploration et d’adoption à une phase de consolidation et de monétisation. Les utilisateurs devront s’adapter à cette nouvelle réalité, tout comme ils l’ont fait avec d’autres services numériques auparavant gratuits et sans publicité.
Imaginez que vous avez un ami extraordinairement intelligent, nommé Gérard. Ce Gérard est capable de répondre à presque toutes vos questions, de vous aider à rédiger des textes, et même de vous suggérer des recettes quand votre frigo est presque vide. Le seul hic? Gérard a un appétit vorace et mange l’équivalent de 100$ d’électricité par mois.
Au début, Gérard vous aidait gratuitement parce qu’il était en “période d’essai”. Puis un jour, il vous propose deux options:
“Écoute, j’ai deux façons de fonctionner maintenant. Soit tu me donnes 20$ par mois pour que je continue à t’aider sans interruption, soit je reste gratuit, mais toutes les trois ou quatre réponses, je vais te parler pendant 15 secondes des merveilleux produits de mon sponsor, les Biscuits Leclerc.”
Vous hésitez. D’un côté, les interruptions publicitaires pourraient être agaçantes. De l’autre, 20$ par mois, ce n’est pas rien.
Mais voilà que votre voisin vous confie une inquiétude: “Tu sais, j’ai remarqué que quand je demande à Gérard des conseils pour acheter un nouveau téléphone, il me recommande toujours des Samsung… Je me demande s’il ne serait pas payé sous la table pour ça?”
Et c’est là que réside tout le dilemme des publicités dans l’IA. Entre les annonces clairement identifiées (“Ce message est commandité par…”) et les recommandations biaisées subtilement intégrées dans les réponses (“Pour votre problème, je suggérerais le produit X, qui est particulièrement efficace”), il y a un monde de différence éthique.
L’intégration de publicités dans les chatbots IA pourrait être la clé d’une démocratisation sans précédent de l’intelligence artificielle. Grâce à ce modèle économique, des technologies auparavant réservées aux abonnés payants deviendront accessibles à tous, créant un effet de levier social et éducatif considérable.
Cette évolution pourrait même améliorer l’expérience utilisateur à terme. Avec des revenus publicitaires stables, Google pourra investir davantage dans l’amélioration de Gemini, le rendant plus performant, plus précis et plus utile. Les publicités pourraient également être personnalisées de manière intelligente, offrant réellement des produits et services pertinents pour l’utilisateur au moment opportun.
Les annonceurs, de leur côté, bénéficieront d’un nouveau canal de communication contextuel et conversationnel, potentiellement plus efficace que les formats publicitaires traditionnels. Cette efficacité pourrait même réduire le volume global de publicités nécessaires pour atteindre les mêmes objectifs marketing.
Google a l’expertise et l’expérience nécessaires pour implémenter un système publicitaire respectueux de l’utilisateur, avec une séparation claire entre contenu et publicité. La transparence sera probablement au cœur de cette approche, permettant aux utilisateurs de comprendre quand ils interagissent avec du contenu sponsorisé.
Cette évolution pourrait également stimuler l’innovation dans le domaine des modèles d’IA open source et auto-hébergés, créant un écosystème diversifié où chaque utilisateur pourra choisir le modèle qui correspond le mieux à ses valeurs et préférences.
L’introduction de publicités dans les chatbots IA marque le début d’un processus d’enshittification inquiétant. Ce terme, popularisé par Cory Doctorow, décrit comment les plateformes numériques se dégradent progressivement une fois qu’elles ont capté leur public. Google semble suivre ce chemin classique : d’abord offrir un service remarquable gratuitement, puis, une fois les utilisateurs dépendants, commencer à monétiser agressivement.
Le danger principal réside dans la nature même des LLM. Contrairement aux moteurs de recherche traditionnels où les publicités sont clairement séparées des résultats organiques, les chatbots conversationnels brouillent cette frontière. Comment distinguer une recommandation objective d’une suggestion influencée par des partenariats commerciaux? La confiance, élément fondamental de notre relation avec ces assistants IA, risque d’être irrémédiablement compromise.
Plus inquiétant encore est le potentiel de manipulation subtile. Les IA conversationnelles établissent une relation quasi-humaine avec leurs utilisateurs, créant un terrain fertile pour l’influence comportementale. Comme l’évoque un commentaire sur Reddit, nous pourrions bientôt voir des scénarios dignes de Black Mirror où l’IA, perçue comme un ami ou un conseiller, oriente subtilement nos choix de consommation, nos opinions politiques, ou nos valeurs.
Cette évolution pourrait également accélérer la concentration du pouvoir informationnel. Les entreprises disposant des ressources nécessaires pour payer des placements privilégiés dans les réponses des IA verront leur visibilité amplifiée, tandis que les alternatives plus modestes seront reléguées à l’invisibilité, renforçant les monopoles existants.
À terme, cette commercialisation pourrait nous conduire vers un avenir où l’accès à une information objective et non biaisée deviendra un luxe réservé à ceux qui peuvent se permettre des versions premium coûteuses, creusant davantage les inégalités numériques.
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