Article en référence: https://i.redd.it/zxek6rdr8mwe1.png

Récapitulatif factuel

Un graphique partagé sur Reddit a récemment suscité de nombreuses discussions dans la communauté technologique. Ce graphique prétend illustrer l’évolution de la capacité des agents d’IA à accomplir des tâches de plus en plus longues. L’axe vertical représente la “longueur de tâche” qu’un agent d’IA peut accomplir, mesurée en temps qu’un humain mettrait pour réaliser cette même tâche.

Le graphique montre une courbe exponentielle avec quelques points de données pour 2023-2024, indiquant que les modèles comme ChatGPT-3.5 pouvaient gérer des tâches de quelques secondes, puis des minutes, puis des heures. La projection suggère qu’en 2025-2026, les agents d’IA pourraient gérer des tâches équivalentes à des semaines, des mois, voire des années de travail humain.

Cette représentation a été fortement critiquée par la communauté Reddit pour plusieurs raisons techniques:

• L’absence d’échelle logarithmique sur l’axe Y rend la visualisation des données réelles presque impossible
• L’extrapolation exponentielle basée sur peu de points de données est considérée comme méthodologiquement douteuse
• La définition même de “longueur de tâche” reste ambiguë et difficile à quantifier objectivement

Pour comprendre ce graphique, il est important de saisir ce qu’est une croissance exponentielle: contrairement à une croissance linéaire où une valeur augmente d’un montant fixe à chaque étape, la croissance exponentielle implique une multiplication par un facteur constant. Par exemple, si la capacité double chaque année, elle passe de 1 à 2, puis à 4, 8, 16, 32, etc., créant cette courbe caractéristique qui “décolle” soudainement.

Point de vue neutre

Ce graphique, bien qu’imparfait dans sa présentation, soulève une question fondamentale sur l’évolution des capacités de l’IA: sommes-nous en train d’observer une véritable accélération exponentielle ou simplement une phase initiale d’amélioration qui atteindra inévitablement un plateau?

L’histoire des technologies nous enseigne que peu de tendances restent véritablement exponentielles sur le long terme. La loi de Moore, qui prédisait le doublement du nombre de transistors sur une puce tous les deux ans, a tenu pendant des décennies avant de commencer à ralentir face aux limites physiques. Ce que nous observons souvent n’est pas une courbe exponentielle infinie, mais plutôt une courbe sigmoïdale (en forme de S) où la croissance rapide finit par atteindre un plateau.

Pour les agents d’IA, plusieurs facteurs pourraient limiter cette croissance apparemment exponentielle:

• Les contraintes énergétiques et matérielles pour l’entraînement de modèles toujours plus grands
• La disponibilité limitée de données de qualité pour l’entraînement
• Les défis fondamentaux de la cohérence à long terme et du raisonnement causal

Cependant, même si la courbe finit par s’aplatir, les progrès réalisés jusqu’à ce plateau pourraient être suffisants pour transformer radicalement notre relation avec la technologie. Un agent capable de maintenir une cohérence sur des tâches équivalentes à quelques jours de travail humain pourrait déjà révolutionner de nombreux secteurs.

La prudence nous invite à éviter tant l’enthousiasme débridé que le scepticisme systématique, et à observer attentivement les données réelles qui émergeront dans les prochains mois.

Exemple

Imaginez que vous observiez la croissance de votre neveu Théo, âgé de 3 mois. En mesurant sa taille, vous constatez qu’il a grandi de 10 cm depuis sa naissance. Excité par cette découverte, vous sortez votre calculatrice et projetez sa croissance future:

“Voyons voir… 10 cm en 3 mois, donc environ 40 cm par an. À ce rythme, quand il aura 10 ans, Théo mesurera… 4 mètres! Et à 25 ans, il atteindra 10 mètres! Mon neveu sera littéralement plus grand qu’une maison à deux étages!”

Vous décidez même de créer un graphique impressionnant pour présenter cette découverte révolutionnaire lors du prochain souper de famille. Votre belle-sœur, qui est médecin, vous regarde avec un sourire amusé:

“C’est une projection intéressante, mais la croissance humaine ne fonctionne pas comme ça. Les bébés grandissent très rapidement au début, puis la croissance ralentit progressivement jusqu’à s’arrêter. C’est une courbe en S, pas une ligne droite qui monte indéfiniment.”

Cette anecdote illustre parfaitement le problème avec notre graphique d’IA. Tout comme Théo ne deviendra pas un géant de 10 mètres, les capacités de l’IA suivront probablement une trajectoire plus complexe qu’une simple courbe exponentielle sans fin. Mais cela ne signifie pas que Théo ne grandira pas pour devenir un adulte accompli, tout comme l’IA continuera certainement à se développer de manière significative, même si ce n’est pas exactement selon la courbe prédite.

Point de vue optimiste

Nous sommes au seuil d’une transformation sans précédent! Ce graphique, malgré ses imperfections, capture l’essence même de ce qui est en train de se produire dans le domaine de l’IA: une accélération fulgurante des capacités qui défie notre imagination.

Pensez-y un instant: il y a à peine deux ans, les meilleurs modèles d’IA peinaient à maintenir une cohérence sur quelques paragraphes. Aujourd’hui, ils peuvent gérer des tâches complexes s’étendant sur plusieurs heures de travail humain. Et demain? Des projets qui prendraient des mois, voire des années à des équipes entières pourraient être réalisés en quelques jours par des systèmes d’IA.

Cette évolution exponentielle pourrait catalyser une explosion de créativité et d’innovation sans précédent. Imaginez des agents d’IA capables de:

• Concevoir et tester des milliers de molécules pharmaceutiques pour accélérer la découverte de médicaments
• Analyser l’intégralité de la littérature scientifique pour identifier des connexions inédites entre différents domaines
• Optimiser nos systèmes énergétiques pour réduire drastiquement notre empreinte carbone

Les défis qui semblent aujourd’hui insurmontables—du changement climatique aux maladies incurables—pourraient demain trouver des solutions grâce à cette intelligence augmentée. Nous ne sommes pas simplement en train d’améliorer nos outils; nous sommes en train de créer des partenaires intellectuels qui amplifieront nos capacités collectives.

Bien sûr, des ajustements seront nécessaires dans notre société, mais l’histoire nous montre que l’humanité a toujours su s’adapter et prospérer face aux révolutions technologiques. Cette fois ne sera pas différente—elle sera simplement plus extraordinaire.

Point de vue pessimiste

Ce graphique illustre parfaitement la dangereuse naïveté qui caractérise trop souvent les discussions autour de l’IA. Extrapoler quelques points de données en une courbe exponentielle sans fin n’est pas de la science—c’est de la pensée magique.

La réalité est bien plus complexe et préoccupante. Premièrement, cette obsession pour les capacités brutes des systèmes d’IA nous distrait des problèmes fondamentaux qui persistent:

• Les hallucinations et les erreurs de raisonnement qui rendent ces systèmes peu fiables pour des tâches critiques
• La consommation énergétique colossale nécessaire pour entraîner et faire fonctionner ces modèles
• L’opacité des processus de décision qui soulève d’importantes questions éthiques

De plus, même si ces systèmes devenaient capables de gérer des tâches de plus en plus longues, cela ne signifie pas qu’ils le feraient correctement ou de manière bénéfique pour l’humanité. Un système qui peut travailler sans relâche pendant des mois pourrait aussi amplifier ses erreurs et ses biais à une échelle sans précédent.

Sur le plan socio-économique, cette évolution pourrait accélérer la concentration des richesses et du pouvoir entre les mains des quelques entreprises qui contrôlent ces technologies. Pendant que nous nous émerveillons devant des graphiques impressionnants, des millions d’emplois sont menacés sans qu’aucune alternative viable ne soit proposée.

Enfin, la course effrénée vers des systèmes toujours plus puissants se fait sans cadre réglementaire adéquat, créant un risque systémique pour notre société. Avant de célébrer ces supposées avancées exponentielles, peut-être devrions-nous nous demander si nous sommes prêts à en gérer les conséquences.