Patrick Bélanger
Article en référence: https://i.redd.it/4nzmk3jfptve1.png
Demis Hassabis, cofondateur et PDG de DeepMind (maintenant Google DeepMind), a récemment fait la couverture du magazine TIME dans le cadre de son classement TIME100 des personnes les plus influentes de 2025. Dans l’article qui accompagne cette distinction, Hassabis exprime son souhait que les nations et entreprises concurrentes puissent mettre de côté leurs différences pour collaborer sur la sécurité de l’intelligence artificielle.
Cette déclaration intervient dans un contexte géopolitique tendu, où la course à la suprématie en IA s’intensifie entre les grandes puissances mondiales et les géants technologiques. Hassabis souligne particulièrement la nature à “double usage” de l’IA - une technologie qui peut apporter d’immenses bénéfices à l’humanité, mais qui pourrait également être détournée à des fins malveillantes si elle n’est pas correctement encadrée.
DeepMind, fondée en 2010 et acquise par Google en 2014, est connue pour avoir développé AlphaGo, le premier programme d’IA à battre un champion du monde de Go, ainsi que pour ses avancées significatives dans le domaine de la prédiction de la structure des protéines avec AlphaFold. Aujourd’hui, l’entreprise est à l’avant-garde du développement de l’IA générale (AGI), une forme d’intelligence artificielle capable de comprendre, apprendre et appliquer des connaissances dans différents domaines à un niveau comparable ou supérieur à l’humain.
La communauté de Reddit a réagi de manière mitigée à cette couverture médiatique, certains commentateurs remettant en question la sincérité de Hassabis, notamment en pointant l’absence d’open source pour des technologies comme AlphaGo, tandis que d’autres s’interrogent sur la faisabilité d’une coopération internationale dans le climat actuel de compétition technologique.
L’appel de Demis Hassabis à la collaboration internationale en matière de sécurité de l’IA reflète une réalité incontournable : aucune entreprise ni nation ne peut, à elle seule, garantir un développement sécuritaire de l’intelligence artificielle. Cependant, entre l’idéal de coopération et la réalité du terrain, un fossé considérable persiste.
Les tensions géopolitiques actuelles entre les États-Unis, la Chine et d’autres puissances technologiques rendent difficile l’établissement d’un cadre de gouvernance mondial. De même, la compétition féroce entre les géants technologiques pour dominer le marché de l’IA crée des incitations économiques qui vont souvent à l’encontre du partage ouvert des connaissances et des technologies.
La position de Hassabis est pragmatique : sans coordination, nous risquons collectivement de développer des systèmes d’IA puissants sans les garde-fous nécessaires. Toutefois, sa propre entreprise, DeepMind, fait partie de l’écosystème Google, qui maintient une approche propriétaire sur ses technologies les plus avancées. Cette contradiction apparente illustre parfaitement le dilemme auquel font face les leaders technologiques : promouvoir la sécurité collective tout en préservant leurs avantages concurrentiels.
Le véritable défi réside dans la création de mécanismes de gouvernance qui permettent une collaboration significative sur les questions de sécurité sans exiger une transparence totale qui compromettrait les intérêts commerciaux ou nationaux. Des initiatives comme le AI Safety Summit au Royaume-Uni ou la Déclaration de Bletchley représentent des premiers pas, mais restent largement symboliques sans mécanismes d’application contraignants.
La voie médiane la plus probable n’est ni une collaboration totale ni une compétition débridée, mais plutôt l’émergence progressive de normes et standards communs, adoptés d’abord par des coalitions de volontaires, puis progressivement étendus à travers des accords bilatéraux et multilatéraux.
Imaginez une course automobile futuriste où chaque écurie développe des voitures autonomes capables d’atteindre des vitesses jamais vues auparavant. Ferrari, McLaren, Mercedes et les autres investissent des milliards pour créer le bolide ultime qui leur garantira la victoire.
Un jour, Enzo, le directeur de Ferrari (notre Demis Hassabis dans cette analogie), monte sur le podium après une course particulièrement dangereuse où plusieurs voitures ont frôlé l’accident catastrophique. Il prend le micro et déclare solennellement : “Mes amis, nos voitures deviennent trop rapides, trop imprévisibles. Nous devrions tous collaborer sur les systèmes de sécurité, partager nos connaissances pour éviter une tragédie!”
Les journalistes applaudissent. Les fans acquiescent. C’est tellement raisonnable!
Pendant ce temps, dans les paddocks :
Un ingénieur McLaren murmure : “Alors, on commence quand cet échange de données sur les freins révolutionnaires qu’Enzo propose?”
Son chef d’équipe éclate de rire : “Tu plaisantes? Ferrari vient justement de déposer cinq nouveaux brevets sur leurs systèmes de sécurité hier. Ils veulent qu’on partage nos innovations pendant qu’ils verrouillent les leurs.”
Un représentant de l’écurie chinoise BYD Racing s’approche : “Nous sommes prêts à collaborer sur la sécurité!”
Le responsable Mercedes lève un sourcil : “Vraiment? Alors pourquoi votre gouvernement vient-il d’interdire l’exportation de vos capteurs de nouvelle génération?”
Et pendant que tous débattent dans les paddocks, les ingénieurs de chaque équipe travaillent jour et nuit pour rendre leurs voitures encore plus rapides pour la prochaine course…
Le lendemain, Enzo donne une interview : “Je suis profondément déçu du manque de collaboration sur la sécurité. C’est pourtant dans l’intérêt de tous.” Puis il retourne superviser les tests de son nouveau moteur secret qui promet d’être 30% plus puissant.
L’appel de Demis Hassabis représente bien plus qu’une simple déclaration d’intention – c’est le signe que nous entrons dans une nouvelle ère de maturité dans le développement de l’intelligence artificielle. Après des années de course effrénée aux capacités, les leaders du domaine reconnaissent désormais que la sécurité et la gouvernance responsable sont les véritables défis du XXIe siècle.
Cette prise de conscience arrive à point nommé. Les récentes avancées en IA générative ont démontré que nous sommes à l’aube de percées transformatrices qui pourraient résoudre certains des problèmes les plus urgents de l’humanité : changement climatique, maladies incurables, inégalités éducatives. Mais pour libérer ce potentiel extraordinaire, nous devons d’abord établir des garde-fous solides.
La bonne nouvelle, c’est que nous voyons déjà émerger des initiatives prometteuses. Le Frontier Model Forum réunit Google, Microsoft, Anthropic et OpenAI autour de standards communs. Des organisations comme l’OCDE développent des principes directeurs adoptés par de nombreux pays. Les sommets internationaux sur la sécurité de l’IA se multiplient, créant des espaces de dialogue entre compétiteurs.
L’histoire des technologies nous enseigne que les standards communs finissent toujours par s’imposer lorsque les enjeux deviennent suffisamment importants. Internet n’aurait jamais connu son essor sans les protocoles TCP/IP partagés. L’énergie nucléaire a bénéficié de traités internationaux malgré la guerre froide. L’IA suivra probablement le même chemin.
DeepMind, sous la direction visionnaire de Hassabis, pourrait jouer un rôle crucial dans cette évolution. En tant qu’organisation ayant réalisé certaines des avancées les plus significatives en IA, elle dispose de l’autorité morale et technique pour établir des précédents en matière de développement responsable.
Les défis sont immenses, mais la prise de conscience collective l’est tout autant. Si nous parvenons à établir cette collaboration internationale, l’IA pourrait devenir le plus grand outil de progrès jamais créé par l’humanité – non pas en remplaçant l’intelligence humaine, mais en l’amplifiant pour résoudre nos défis les plus complexes.
L’appel de Demis Hassabis à la collaboration internationale sur la sécurité de l’IA sonne comme une belle mélodie qui masque une dissonance fondamentale. Pendant que le PDG de DeepMind fait la une de TIME avec des déclarations vertueuses, son entreprise, propriété de Google, continue de développer des systèmes d’IA toujours plus puissants dans le secret de ses laboratoires.
Cette contradiction n’est pas anodine. Elle illustre parfaitement l’hypocrisie qui caractérise le discours des géants technologiques sur la sécurité de l’IA. On nous parle de collaboration pendant que la course aux armements d’IA s’intensifie. On évoque la transparence tout en gardant jalousement les détails techniques des modèles les plus avancés. On prône la régulation tout en déployant des lobbyistes pour l’affaiblir.
Les commentaires sur Reddit pointent justement cette incohérence : pourquoi AlphaGo n’est-il pas open source si la collaboration est si importante? À qui profite réellement cette “sécurité” dont parle Hassabis?
Le contexte géopolitique actuel rend l’idée d’une collaboration internationale particulièrement illusoire. Les tensions entre les États-Unis et la Chine s’intensifient, chacun considérant la suprématie en IA comme un impératif stratégique non négociable. L’Europe tente de se positionner avec ses réglementations, mais reste dépendante des technologies américaines. Dans ce climat, parler de coopération relève davantage du vœu pieux que d’une proposition réaliste.
Plus inquiétant encore, la concentration du pouvoir de l’IA entre les mains d’une poignée d’entreprises privées pose des questions démocratiques fondamentales. Des décisions qui affecteront l’avenir de l’humanité sont prises dans des conseils d’administration sans véritable contrôle démocratique.
Pendant que Hassabis fait la couverture des magazines, les systèmes d’IA se déploient à un rythme effréné, créant des vulnérabilités nouvelles dans nos sociétés : désinformation à grande échelle, automatisation massive d’emplois, surveillance omniprésente. La “sécurité” dont on nous parle semble bien plus orientée vers la protection des intérêts corporatifs que vers celle des citoyens ordinaires.
Sans un changement radical dans la gouvernance de l’IA, incluant une véritable transparence et un contrôle démocratique, les beaux discours sur la collaboration resteront ce qu’ils sont : des relations publiques soigneusement orchestrées pendant que la course au profit et à la puissance se poursuit en coulisses.
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